Une femme qui part est le nouveau documentaire d’Ellen Vermeulen, dans lequel elle examine la singulière Marie-Louise Chapelle, première femme a avoir gravi un sommet inexploré de l’Himalaya en 1952. Elle menait une double vie, en tenant son rôle de mère pendant six mois, puis en bravant les montagnes inexplorées le restant de l’année. Septante ans plus tard, la réalisatrice repart pour cette ascension ardue. S'appuyant sur les archives de Chapelle, composées de journaux intimes, de lettres et d'images, Vermeulen traverse avec sa caméra les paysages enneigés inhospitaliers que le temps et le climat ont transformés au point de les rendre méconnaissables. Elle entrelace des séquences qu'elle a filmées elle-même avec les archives de Chapelle, et réfléchit à ses propres interrogations existentielles : une vie avec enfants, ou sans ? Une femme qui part étudie la tension entre les désirs personnels et l'inégalité sociale, et expose les limites auxquelles les femmes sont souvent condamnées. Une quête intime de sens, où le temps, les souvenirs et les choix s'entremêlent profondément. Un film sur les limites, les désirs et la complexité d'être une femme.
« Une femme qui part est un film ample dans sa proposition, qui déjoue les codes du film de montagne pour nous offrir une balade singulière entre passé et présent, aux côtés (et dans les pas) d’une femme extraordinaire. Ce n’est pas seulement une histoire qui mérite d’être racontée, mais la présence de la réalisatrice lui confère une puissance supplémentaire. Majestueux et énigmatique, le film nous renvoie, sans contradiction, à notre condition de femme et aux limites imposées par le système qu’il convient de démonter. »
Pauline David
Une femme qui part
Texte d’introduction par Dagmar Teurelincx
Ellen Vermeulen (1982) est réalisatrice, chercheuse et professeure. Son travail se caractérise par un regard critique et une exploration en profondeur des structures sociétales. Avec 9999 (2014), elle a réalisé un documentaire sur l’internement dans la prison de Merksplas qui fut même projeté à la Cour européenne des Droits de l’Homme. Elle a filmé Catch-19to25 (2016) sur le Reno, bateau d’accueil de réfugiés, inspirée par la théorie des rouages d’Hannah Arendt. Et dans son film sur des enfants avec des besoins éducatifs spécifiques, Inclusief (2018), elle montre même un regard critique sur le système.
Dans son nouveau documentaire, Une femme qui part, Vermeulen se concentre plus que jamais autour d’une quête intime et personnelle. Elle s’intéresse à Marie-Louise Chapelle, première femme a avoir gravi un sommet inexploré de l’Himalaya en 1952. À cet escient, Chapelle menait une double vie. Pendant six mois, elle était une mère et une épouse, et elle passait ensuite le restant de l’année en haute montagne. Dans son journal intime, elle décrit son combat intérieur et les tensions entre ces deux mondes : “Il y a toujours quelque chose qui te manque.” Septante ans plus tard, la réalisatrice refait cette ascension précise de l’Himalaya, guidée par près de vingt ans de recherches sur les archives de Chapelle. Tandis que la voix de Chapelle résonne à travers les lettres et les journaux intimes, Vermeulen formule ses propres pensées et désirs, transformant le film en un dialogue entre les deux femmes. L’exploration du combat intérieur de Chapelle révèle rapidement des parallèles avec la propre vie de Vermeulen. Alors qu’elle dévoile les désirs de Chapelle, elle se confronte à ses propres questionnements existentiels : “Je ne peux plus éluder la question : une vie avec enfant, ou une vie sans ?” L’histoire transforme un portrait biographique en une exploration introspective des choix et des limites qui sont imposés aux femmes.
Dans Une femme qui part, les images d’archives, tournées pendant l’expédition de Chapelle en 1952, se mélangent avec des nouvelles images filmées en grande partie par Vermeulen, assistée de son preneur de son. L'ambiguïté de la source amène le spectateur à se perdre dans des histoires (présumées). Quel récit tirons-nous des archives de Chapelle ? Quelle romance croyons-nous déceler entre la femme et son compagnon de cordée ? Quelles histoires lisons-nous entre les lignes ? Comment évaluer sa relation avec ses enfants, qui étaient privés d’elle la moitié de l’année ? La rencontre de Vermeulen avec Chapelle montre les limites de l’interprétation de la vie des autres. Une femme qui part est une tentative de rapprochement, non seulement dans l’espace, mais surtout dans le temps, avec cette femme qui reste toujours vague sur sa vie personnelle dans ses journaux intimes. Alors qu'ils se traînent dans la neige fondante, le guide de Vermeulen, Boris, remarque que c’est comme s’ils s’enfonçaient dans le temps. Lorsqu’elle approche le sommet, la distance entre Vermeulen et Chapelle s’estompe. “Pour la montagne, nous sommes des contemporaines et nous nous tenons ici ensemble”, dit Vermeulen.
Mais Une femme qui part est plus qu’une quête personnelle. Là où, pour Chapelle, les montagnes ont été un refuge qui lui permettaient de prendre temporairement de la distance avec son couple et avec la vie de famille qui en découle, des années plus tard, elles constituent tout d’abord un moyen de survie pour les 25 porteurs locaux qui guident Vermeulen. Lors d'une pause, ils demandent si Vermeulen ne peut pas leur offrir du travail dans “son pays”. Ce court instant met à nu le malaise tendu de toute l’expédition : un désir personnel pour la montagne se heurte à la réalité des inégalités sociétales qui peuvent limiter de tels désirs. Chapelle fut aussi confrontée à des limites similaires : à 5200m d’altitude, ses compagnons de cordée masculins décident de continuer sans elle. Une femme au sommet réduirait la montagne à une colline, à “une montagne à vaches”.
La montagne, qui semblait si massive de premier abord, dévoile en fin de compte sa volatilité. À cause du recul des glaciers, le parcours emprunté par Chapelle en 1952 ne peut plus être remonté dans son entièreté. Le temps a changé la montagne. Tijd heeft de berg veranderd. Le double rôle de Vermeulen en tant que cinéaste et alpiniste rend l'ascension d'autant plus difficile. Ses images deviennent de plus en plus instables au fur et à mesure que le trek progresse. Vermeulen ne parvient pas à déchiffrer Chapelle.
Petit à petit, Une femme qui part devient un film sur les frontières : entre des époques infranchissables, des désirs contradictoires et des choix impossibles – en particulier pour les femmes. La recherche de Vermeulen des traces laissées par Chapelle, et surtout des non-dits douloureux qu'elles contiennent, se termine sur un ajout dans les archives tout aussi énigmatique.
Dagmar Teurelincx
Spécialiste théâtre et cinéma, écrivaine, responsable de communication Hiros
Une femme qui part
Texte d’introduction par Dagmar Teurelincx
Ellen Vermeulen (1982) est réalisatrice, chercheuse et professeure. Son travail se caractérise par un regard critique et une exploration en profondeur des structures sociétales. Avec 9999 (2014), elle a réalisé un documentaire sur l’internement dans la prison de Merksplas qui fut même projeté à la Cour européenne des Droits de l’Homme. Elle a filmé Catch-19to25 (2016) sur le Reno, bateau d’accueil de réfugiés, inspirée par la théorie des rouages d’Hannah Arendt. Et dans son film sur des enfants avec des besoins éducatifs spécifiques, Inclusief (2018), elle montre même un regard critique sur le système.
Dans son nouveau documentaire, Une femme qui part, Vermeulen se concentre plus que jamais autour d’une quête intime et personnelle. Elle s’intéresse à Marie-Louise Chapelle, première femme a avoir gravi un sommet inexploré de l’Himalaya en 1952. À cet escient, Chapelle menait une double vie. Pendant six mois, elle était une mère et une épouse, et elle passait ensuite le restant de l’année en haute montagne. Dans son journal intime, elle décrit son combat intérieur et les tensions entre ces deux mondes : “Il y a toujours quelque chose qui te manque.” Septante ans plus tard, la réalisatrice refait cette ascension précise de l’Himalaya, guidée par près de vingt ans de recherches sur les archives de Chapelle. Tandis que la voix de Chapelle résonne à travers les lettres et les journaux intimes, Vermeulen formule ses propres pensées et désirs, transformant le film en un dialogue entre les deux femmes. L’exploration du combat intérieur de Chapelle révèle rapidement des parallèles avec la propre vie de Vermeulen. Alors qu’elle dévoile les désirs de Chapelle, elle se confronte à ses propres questionnements existentiels : “Je ne peux plus éluder la question : une vie avec enfant, ou une vie sans ?” L’histoire transforme un portrait biographique en une exploration introspective des choix et des limites qui sont imposés aux femmes.
Dans Une femme qui part, les images d’archives, tournées pendant l’expédition de Chapelle en 1952, se mélangent avec des nouvelles images filmées en grande partie par Vermeulen, assistée de son preneur de son. L'ambiguïté de la source amène le spectateur à se perdre dans des histoires (présumées). Quel récit tirons-nous des archives de Chapelle ? Quelle romance croyons-nous déceler entre la femme et son compagnon de cordée ? Quelles histoires lisons-nous entre les lignes ? Comment évaluer sa relation avec ses enfants, qui étaient privés d’elle la moitié de l’année ? La rencontre de Vermeulen avec Chapelle montre les limites de l’interprétation de la vie des autres. Une femme qui part est une tentative de rapprochement, non seulement dans l’espace, mais surtout dans le temps, avec cette femme qui reste toujours vague sur sa vie personnelle dans ses journaux intimes. Alors qu'ils se traînent dans la neige fondante, le guide de Vermeulen, Boris, remarque que c’est comme s’ils s’enfonçaient dans le temps. Lorsqu’elle approche le sommet, la distance entre Vermeulen et Chapelle s’estompe. “Pour la montagne, nous sommes des contemporaines et nous nous tenons ici ensemble”, dit Vermeulen.
Mais Une femme qui part est plus qu’une quête personnelle. Là où, pour Chapelle, les montagnes ont été un refuge qui lui permettaient de prendre temporairement de la distance avec son couple et avec la vie de famille qui en découle, des années plus tard, elles constituent tout d’abord un moyen de survie pour les 25 porteurs locaux qui guident Vermeulen. Lors d'une pause, ils demandent si Vermeulen ne peut pas leur offrir du travail dans “son pays”. Ce court instant met à nu le malaise tendu de toute l’expédition : un désir personnel pour la montagne se heurte à la réalité des inégalités sociétales qui peuvent limiter de tels désirs. Chapelle fut aussi confrontée à des limites similaires : à 5200m d’altitude, ses compagnons de cordée masculins décident de continuer sans elle. Une femme au sommet réduirait la montagne à une colline, à “une montagne à vaches”.
La montagne, qui semblait si massive de premier abord, dévoile en fin de compte sa volatilité. À cause du recul des glaciers, le parcours emprunté par Chapelle en 1952 ne peut plus être remonté dans son entièreté. Le temps a changé la montagne. Tijd heeft de berg veranderd. Le double rôle de Vermeulen en tant que cinéaste et alpiniste rend l'ascension d'autant plus difficile. Ses images deviennent de plus en plus instables au fur et à mesure que le trek progresse. Vermeulen ne parvient pas à déchiffrer Chapelle.
Petit à petit, Une femme qui part devient un film sur les frontières : entre des époques infranchissables, des désirs contradictoires et des choix impossibles – en particulier pour les femmes. La recherche de Vermeulen des traces laissées par Chapelle, et surtout des non-dits douloureux qu'elles contiennent, se termine sur un ajout dans les archives tout aussi énigmatique.
Dagmar Teurelincx
Spécialiste théâtre et cinéma, écrivaine, responsable de communication Hiros