Dans Soy Libre, Laure Portier capture la quête de liberté et d'identité de son frère cadet Arnaud. Enfermé dans une réalité imposée dans les cités du nord de la France, il cherche à s’échapper d’une destinée tracée d'avance. La voix de sa sœur cinéaste vient l'en arracher, détruisant sans ménagement la parole attendue d'une histoire résignée au déterminisme. Ainsi, Arnaud s’évade en Espagne, puis jusqu'au Pérou. Une odyssée capturée avec une sensibilité cinématographique remarquable. À travers la caméra de Laure et parfois celle d'Arnaud lui-même, le film dresse le portrait complexe et sincère d'un esprit tourmenté, confronté à des impulsions imprévisibles et aux tentations de la petite criminalité. Un document intense, qui bouscule le spectateur dans une ode à la liberté, et témoigne de la force des liens familiaux et du pouvoir émancipateur du cinéma.
« En matière de documentaires, on distingue souvent les films sur (un sujet, une personne…) des films avec (celle, celui ou ceux que l’on filme). Soy libre appartient résolument à cette seconde catégorie, hostile à tout abus de pouvoir et prête à accueillir le spectateur sans aucun embarras dans ce qui est, en l’occurrence, bien plus qu’un simple film de famille : une authentique œuvre de cinéma. »
François Eckchajzer
« Ce qui m'intéresse dans le cinéma, c'est ce qui n'est pas figé, ce qui mue. Que ce soit le regard qu'on a sur quelqu'un qui se transforme, ou la personne elle-même. Indépendamment de cette histoire, c'est cela dont j'avais envie, déplacer le regard. Ici en particulier, ce récit parle d'une injustice qui demandait réparation, et il s'y passe de nombreuses choses que je n'avais même pas osé écrire. Parallèlement à cela, il a fallu concilier avec les envies d'Arnaud, ou son absence d'envie justement. Mais lorsqu'au début du film, il raconte son histoire, c'est quelque chose dont il avait extrêmement besoin. En ce sens, il a dépassé mes attentes, et cela m'a grandement influencé dans la construction du récit. »
Laure Portier
« J’ai toujours protégé mon frère : la seule personne qui puisse le malmener c’est moi, pas le spectateur, qui aura toujours tort. Quand je filme des gens que j’aime, il est évident que je les protégerai plus que je me protège. Dans ce film-ci ou le précédent il a fallu construire mon personnage au montage, et il y a des moments où ce n’est pas agréable, ou je me dis que je ne veux pas de cette place-là. Pourtant je l’accepte parce que ça nourrit le film et ça protège l’autre. »
Laure Portier
« Je crois que j’emploie le mot « sincère » dans le film. Le « vrai » je m’en fous un peu surtout quand il s’agit de cinéma, mais une forme de sincérité par contre… Le film est le lieu de notre rencontre, un lieu commun et un moteur pour nous dépasser, dépasser notre réflexion sur le monde, sur notre condition. »
Laure Portier
« La relation entre la portraitriste et son modèle ressemble à une collaboration artistique. Plusieurs scènes évoquent le film en cours, le film en train de se faire. Mises en abîme qui ne cherchent jamais à faire croire au public qu’il s’agit sur l’écran d’une vie sans filtre mais d’une vie saisie par le cinéma. Arnaud n’est pas un personnage soumis à sa « grande soeur-à-la-caméra » ; en voyage par exemple, c’est lui qui se filme, c’est lui qui se met en scène. Et indéniablement, il possède lui aussi certains talents de réalisateur, le sens du cadre, une application à fabriquer des « prises » utiles au montage, le flair de savoir rester silencieux lorsqu’il enregistre son réel. Ces séquences, ces « auto-séquences », ont même un style moins saccadé, moins mouvant, que dans les plans filmés par la réalisatrice, qui affectionne de suivre, caméra au poing, l’agitation, l’agilité de son petit frère, ce jeune téméraire. »
Benjamin Genissel
Soy libre
Introduction par Tillo Huygelen
Dans Soy Libre (2021), Laure Portier livre un compte-rendu de la dizaine d’années qu’elle a passé à la recherche d’Arnaud, son frère cadet. Après une jeunesse tumultueuse, Arnaud est parti en quête d’une vie libre. Ce qui le conduira de France jusqu’en Espagne, et qui l’amènera finalement en Amérique du Sud. Soy Libre est le deuxième film de Portier, après Dans l'œil du chien (2019), un court-métrage documentaire qui suit sa grand-mère. Les deux films sont en étroite relation, et vont même jusqu’à s’entrecroiser : Arnaud apparaît dans son premier film pour la première fois devant la caméra. Les deux films reposent sur une histoire familiale profonde et complexe.
En 2012, tout juste diplômée de l’INSAS, Portier va chercher son frère qui venait de sortir de prison, avec la proposition de faire un film ensemble. Portier menait une vie bien différente de celle d’Arnaud. Elle faisait des études d’art, qui l’ont amenée dans un milieu social artistique, alors que son frère a suivi un parcours social bien différent; il est perdu et recherche un nouvel hébergement. Dans une interview à Sabzian, Portier explique que Soy Libre a pour but de créer “un cadre ou un mouvement” pour Arnaud. Elle considère son film comme une manière de “venger” son frère, de lui donner la possibilité de revendiquer un endroit quelque part dans le monde, quelle que soit son origine sociale. Le titre, qui signifie “je suis libre”, veut donc aussi dire “je suis ici” – une quête d’affirmation de soi. “Peut-être que la vision de sa vie lui a donné le courage d’aller vers autre chose. Enfin, j’en suis certaine. Je crois que c’est la seule chose dont parle le film : pouvoir se réinventer soi-même,” dit encore Portier. En ce sens, le film est un espace que se partagent un frère et une sœur : Arnaud tourne également des images lorsqu’il est à l’étranger, et les envoie à sa sœur. L’échange qui en ressort renforce sa quête. Arnaud se filme dans toutes sortes d’endroits, parfois dans des situations précaires : une plage, une manifestation, en train de dormir sur un banc dans un parc la nuit. Ses images sont un signe de vie, autant pour sa sœur que pour lui-même. “Pour ne pas perdre la tête”, il doit toucher le monde et le changer. Il doit sentir qu’il est présent. Il vole, il détruit, il vit dans un monde sans interdit, et il documente tout. Enfin, il fait aussi des dessins qui, dans le film, montrent une autre image de son univers intérieur.
Dans le film, frère et soeur se font face non seulement en tant que membres d’une famille, mais aussi en tant que filmeur et filmé. La question de la responsabilité d’une grande sœur envers son petit frère se reflète dans la tension entre cinéaste documentaire et sujet. Dans Soy Libre, Portier se heurte aux limites du portrait documentaire. Saisir Arnaud en une seule image uniforme et exhaustive se révèlera un vain espoir au long du film. En tant qu’”objet” de documentaire, Arnaud s’échappe constamment de toute représentation définitive. Arnaud entre et sort du cadre en permanence, jouant parfois à un cache-cache filmique avec sa sœur. Plus le film avance, plus elle devient une spectatrice extérieure de son monde. “Est-ce que je gâche ta vie en la filmant ?”, lui demande-t-elle à un moment. Arnaud se laisse littéralement dériver de l’image; la caméra dérange perturbe sa relation à son nouvel environnement, et le cadre filmique n’est plus le bienvenu.
Portier ne se force pas à dissimuler l’artificialité de son film : le jeu est mis en place des deux côtés. “Je crois que j’utilise le mot ‘sincère’ dans le film. Le ‘vrai’ m’importe peu, et encore moins quand il s’agit de cinéma. Le film, c’est l’endroit où l’on se rencontre, un espace commun, un moyen de nous transcender, au-delà de notre propre réflexion sur le monde et notre propre condition.” Au début de Soy Libre, Arnaud dévale la route à toute vitesse en scooter avec sa sœur à l’arrière, caméra à l’épaule. Vitesse qui la met audiblement à rude épreuve. Elle doit continuer à filmer son frère, garder la caméra droite, faire la mise au point. La scène résume bien ce que Soy Libre met en jeu. Tout comme Arnaud se déplace dans l’espace physique, il se déplace dans le cadre filmique, se réinventant constamment et façonnant à volonté la manière dont il apparaît à l’image. Le souhait de Portier n’est pas de comprendre Arnaud. Après tout, la compréhension n’est qu’un autre cadre imposé. “Pour moi, c’est le corps qui doit réagir avant l’esprit : si mon corps l’a compris, le reste suivra.” Soy Libre est une invitation à accompagner Arnaud dans sa quête de liberté, et la tentative d’une sœur de le suivre.
Tillo Huygelen
Cinéaste
Rédacteur et collaborateur artistique Sabzian
Soy libre
Introduction par Tillo Huygelen
Dans Soy Libre (2021), Laure Portier livre un compte-rendu de la dizaine d’années qu’elle a passé à la recherche d’Arnaud, son frère cadet. Après une jeunesse tumultueuse, Arnaud est parti en quête d’une vie libre. Ce qui le conduira de France jusqu’en Espagne, et qui l’amènera finalement en Amérique du Sud. Soy Libre est le deuxième film de Portier, après Dans l'œil du chien (2019), un court-métrage documentaire qui suit sa grand-mère. Les deux films sont en étroite relation, et vont même jusqu’à s’entrecroiser : Arnaud apparaît dans son premier film pour la première fois devant la caméra. Les deux films reposent sur une histoire familiale profonde et complexe.
En 2012, tout juste diplômée de l’INSAS, Portier va chercher son frère qui venait de sortir de prison, avec la proposition de faire un film ensemble. Portier menait une vie bien différente de celle d’Arnaud. Elle faisait des études d’art, qui l’ont amenée dans un milieu social artistique, alors que son frère a suivi un parcours social bien différent; il est perdu et recherche un nouvel hébergement. Dans une interview à Sabzian, Portier explique que Soy Libre a pour but de créer “un cadre ou un mouvement” pour Arnaud. Elle considère son film comme une manière de “venger” son frère, de lui donner la possibilité de revendiquer un endroit quelque part dans le monde, quelle que soit son origine sociale. Le titre, qui signifie “je suis libre”, veut donc aussi dire “je suis ici” – une quête d’affirmation de soi. “Peut-être que la vision de sa vie lui a donné le courage d’aller vers autre chose. Enfin, j’en suis certaine. Je crois que c’est la seule chose dont parle le film : pouvoir se réinventer soi-même,” dit encore Portier. En ce sens, le film est un espace que se partagent un frère et une sœur : Arnaud tourne également des images lorsqu’il est à l’étranger, et les envoie à sa sœur. L’échange qui en ressort renforce sa quête. Arnaud se filme dans toutes sortes d’endroits, parfois dans des situations précaires : une plage, une manifestation, en train de dormir sur un banc dans un parc la nuit. Ses images sont un signe de vie, autant pour sa sœur que pour lui-même. “Pour ne pas perdre la tête”, il doit toucher le monde et le changer. Il doit sentir qu’il est présent. Il vole, il détruit, il vit dans un monde sans interdit, et il documente tout. Enfin, il fait aussi des dessins qui, dans le film, montrent une autre image de son univers intérieur.
Dans le film, frère et soeur se font face non seulement en tant que membres d’une famille, mais aussi en tant que filmeur et filmé. La question de la responsabilité d’une grande sœur envers son petit frère se reflète dans la tension entre cinéaste documentaire et sujet. Dans Soy Libre, Portier se heurte aux limites du portrait documentaire. Saisir Arnaud en une seule image uniforme et exhaustive se révèlera un vain espoir au long du film. En tant qu’”objet” de documentaire, Arnaud s’échappe constamment de toute représentation définitive. Arnaud entre et sort du cadre en permanence, jouant parfois à un cache-cache filmique avec sa sœur. Plus le film avance, plus elle devient une spectatrice extérieure de son monde. “Est-ce que je gâche ta vie en la filmant ?”, lui demande-t-elle à un moment. Arnaud se laisse littéralement dériver de l’image; la caméra dérange perturbe sa relation à son nouvel environnement, et le cadre filmique n’est plus le bienvenu.
Portier ne se force pas à dissimuler l’artificialité de son film : le jeu est mis en place des deux côtés. “Je crois que j’utilise le mot ‘sincère’ dans le film. Le ‘vrai’ m’importe peu, et encore moins quand il s’agit de cinéma. Le film, c’est l’endroit où l’on se rencontre, un espace commun, un moyen de nous transcender, au-delà de notre propre réflexion sur le monde et notre propre condition.” Au début de Soy Libre, Arnaud dévale la route à toute vitesse en scooter avec sa sœur à l’arrière, caméra à l’épaule. Vitesse qui la met audiblement à rude épreuve. Elle doit continuer à filmer son frère, garder la caméra droite, faire la mise au point. La scène résume bien ce que Soy Libre met en jeu. Tout comme Arnaud se déplace dans l’espace physique, il se déplace dans le cadre filmique, se réinventant constamment et façonnant à volonté la manière dont il apparaît à l’image. Le souhait de Portier n’est pas de comprendre Arnaud. Après tout, la compréhension n’est qu’un autre cadre imposé. “Pour moi, c’est le corps qui doit réagir avant l’esprit : si mon corps l’a compris, le reste suivra.” Soy Libre est une invitation à accompagner Arnaud dans sa quête de liberté, et la tentative d’une sœur de le suivre.
Tillo Huygelen
Cinéaste
Rédacteur et collaborateur artistique Sabzian