Suzanne en a assez de son petit ami Albert et le quitte. Le drame se déroule en quinze tableaux, dans lesquels elle passe chez l’ami d’Albert, Émile. Pourtant, ces soucis romantiques vont de pair avec un ennui insatiable. Avec une ligne dramatique terriblement mince et des gestes cinématographiques réduits au minimum, le film crée un espace où on joue avec le déroulement temporel. Ce petit chef-d’œuvre constitue même une sorte de rébellion ironique contre la forme cinématographique. La fugue de Suzanne est un joyau rare dans l’histoire du cinéma belge. Autofinancé par son réalisateur, le film crée une réalité absurde avec un minimum de gestes cinématographiques.
« Jean-Marie Buchet, c’est Bresson ou Duras revu par le Douanier Rousseau, c’est notre Eustache à nous, sans les références culturelles et le parisianisme. »
Boris Lehman
« Les personnages de Buchet s'ennuient d'un ennui poussé à l'absurde. Ils vivent dans un monde improbable, inconsistant composé d'un tas de couvertures, d'un tas de bouquins, d'un sofa défoncé, parmi lequel les personnages se meuvent comme des poissons dans un aquarium, sans se rendre compte de l'état étriqué de leur univers. »
Nina de Vroome
« Cinq personnages donc, à la recherche ou à l’ennui d’eux-mêmes. Jean-Marie Buchet donne là un des films le plus représentatifs d’un certain cinéma des années 70. Le décor : quelques pièces, réduites à leurs éléments indispensables, chaises, tables, tapis, canapés. Les personnages, eux, sont proches de l’autisme ou plutôt d’une communication décalée : ce qu’ils disent, d’une banalité voulue et absolue, les laisse absents de ces bribes de conversation. Leurs rencontres, en longs plans fixes, ne fixent qu’un vide dont la présence métaphysique amène un humour fait de non-sens et de refus du sens. Leurs chassés-croisés, aller l’un chez l’autre, essayer de savoir où est l’autre, débuchent sur un marivaudage à l’encéphalogramme plat, sur l’arrêt apparent du cœur. Ces personnages, qui se déplacent sur les cases d’un “jeu de dames”, sont les porte-parole d’un humain qui, puisqu’il est réduit à sa plus simple expression, semble plus violent et plus proche que tous les agités de l’action que l’on voit sur les écrans. Leur temps est un temps intérieur, le temps où chacun est nul et sans réponse. L’introspection, le personnage qui parle (même pour dire son désarroi), c’est du chiqué. Tous attendent Godot, une fois encore, et c’est magnifique. »
Jacqueline Aubenas