Premier long métrage d'André Delvaux, film fondateur du cinéma belge moderne, L'homme au crâne rasé fut pourtant accueilli avec incompréhension, voire hostilité, par une critique nationale qui n'avait pas perçu immédiatement la fulgurance de son étrangeté. Le scénario est une adaptation du roman de l'écrivain flamand Johan Daisne. Delvaux résume ainsi son sujet: “Comment Govert Miereveld, avocat et professeur dans une ville flamande, conçoit un amour secret pour sa jeune élève Fran, beauté inaccessible et bientôt disparue. Comment, plus tard, l'imperceptible dérèglement mental de Govert s'accentue sous le choc d'une autopsie à laquelle il est contraint d'assister. Comment il retrouve - ou croit retrouver - Fran et ce qui s'ensuit. Comment on ne saura jamais s'il l'a vraiment tuée.” L'originalité troublante des thèmes et la maîtrise immédiate de la mise en scène vont situer André Delvaux en tant que chef de file du réalisme magique.
Le film commence par une séance académique de distribution des prix. Tout est parfaitement « normal ». Or s'installe un insidieux malaise, un décalage pernicieux. Les apparences sont traversées. Delvaux joue avec la mise en avant de micro-événements, qui sont dilatés par une perception qui provoque un imperceptible grossissement, un gauchissement du réel. Le concret et l'interprété, le subjectif et l'objectif se chevauchent et opèrent un subtil mélange. C'est la séquence de l'autopsie qui résume le mieux cette double perception: celle d'une réalité chirurgicale où un cadavre est un objet neutre, cliniquement dissécable, et celle d'un intolérable qui renvoie à la pourriture, au trouble identitaire.
« Les chefs-d’œuvre, au cinéma, ne sont pas légion. Des œuvres de la classe de Citizen Kane, de Pierrot le fou, de Salvatore Giuliano, il ne s’en fait pas dix par an, et même pas cinq, le monde pris dans son entier. L’une des toutes récentes est L’homme au crâne rasé, d’André Delvaux. Un film belge. (...) un indiscutable chef-d’œuvre, L’homme au crâne rasé, le premier long métrage qui nous soit venu de Belgique, ce pays, soit dit en passant, qu’il faudrait apprendre à aimer. »
Michel Cournot